Augustin ou le maître est là

Publié par ReligieuseMans

Auteur : Joseph Malègue
Editeur : Cerf
Nombre de pages : 816

« Augustin ou le maître est là », souvent cité par le pape François est un monument. Son escalade comblera les amateurs d’altitude spirituelle.

C’est la preuve que rien n’est jamais perdu. Surtout dans le domaine du vrai et du beau. Il a fallu un pape, venu d’Argentine, lequel entretient il est vrai des contacts étroits avec la culture, pour que la France se réapproprie un monument oublié de son patrimoine littéraire. Le paradoxe n’est qu’apparent puisque l’Église catholique est par essence universelle et que Dieu résonne au fond de chaque être, au-delà des frontières du temps et de l’espace.

Augustin ou le maître est là de Joseph Malègue, évoqué à plusieurs reprises par le pape François, semble venir tout droit de l’antiquité chrétienne, laissant à penser que son sujet serait la conversion de l’évêque d’Hippone.

Derrière un titre, il y a parfois une succession de malentendus. De fait, s’il ne s’agit pas ici de saint Augustin, mais plus simplement d’Augustin Méridier, le héros de cette histoire. La foi, sa perte comme les retrouvailles avec celle-ci, constitue bien le cœur de ce roman, paru pour la première fois en 1933 et qui retrouve aujourd’hui une nouvelle jeunesse.

Pourtant, s’il a rencontré le succès à sa parution, valant à son auteur une correspondance abondante et une certaine aisance financière, Augustin a souffert d’une situation contraire. On lit encore les romans de Mauriac ou ceux de Bernanos, peuplés de figures de prêtres en soutane. Malègue, leur contemporain, n’a pas réussi son examen de passage d’un monde à l’autre, celui qui sépare l’avant-guerre du nouvel univers surgi à partir de 1945, sur des rythmes de jazz nourrissant l’insouciance d’une jeunesse avide de croquer la vie à pleines dents.

Malègue, lui-même, n’y est d’ailleurs pour rien. De santé fragile, il est mort le 30 décembre 1940, à peine âgé de 64 ans, dans une France encore abasourdie par la défaite. Comble de malchance, aux yeux de la postérité, son ami et exécuteur testamentaire, le philosophe Jacques Chevalier, secrétaire d’État dans le gouvernement de Vichy, lui rend alors un vibrant hommage à la radio. Dans ses tiroirs, Malègue laisse un roman inachevé, Pierres noires – Les Classes moyennes du salut, que Jacques Chevalier parviendra finalement à faire éditer en 1958, redonnant un peu d’intérêt pour son auteur avant le grand enfouissement que l’on aurait pu croire définitif.

Il est vrai qu’Augustin ou le maître est là impressionne, intimide le lecteur, par son volume (832 pages dans la nouvelle édition du Cerf) et son rythme, lent, précis, narratif, mais d’une beauté et d’une ingéniosité par moments à couper le souffle. Il faut avoir la ténacité de l’escaladeur pour entreprendre cette ascension littéraire et spirituelle, mais arrivé au bout, qui est un sommet, quelle récompense !

En suivant la vie d’Augustin Méridier, élève puis professeur brillant, depuis son Cantal natal jusqu’à sa mort au sanatorium, on traverse l’histoire d’une génération de catholiques, confrontés à la crise moderniste comme au désir d’une foi que l’on aurait débarrassée des scories du temps et d’une affectivité trop terrienne.

De la tension née de cette quête, dans une société qui s’était clairement affranchie de tout lien au religieux, nombreux furent ceux qui finirent par abandonner la foi, oubliant que l’Église n’est pas un simple système, mais le Christ continué et communiqué. Augustin Méridier, tenaillé par la vocation, tenaillé par l’amour, tenaillé par une intelligence trop vive, fut l’un de ceux-là. Lors de sa confession ultime, le prêtre le lui dit clairement : la faute ne fut pas l’exercice de l’intelligence, mais de ne pas l’avoir mise sous l’éclairage nécessaire.

Salué comme un chef-d’œuvre dès sa parution, Augustin ou le maître est là est le livre d’un Proust chrétien, qui a expérimenté la croix au cœur de sa propre existence. Peut-être est-ce ce qui explique que cette réussite dans le domaine littéraire l’est aussi dans un ordre supérieur.

Certes Augustin évoque un monde enfoui, des problématiques d’un autre temps, des considérations d’une autre époque. Mais, outre que nous sommes les enfants de cette génération, et qu’évoquer nos pères, c’est encore montrer ce que nous sommes, Augustin aborde au plus près la perte de la foi, la conversion et la sainteté. Des questions toujours brûlantes.

Publié dans Livres, Saint Augustin

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